Par Khch
Le 12 novembre 2010
Il y a de cela plusieurs millénaires vivait en Egypte un majordome, scribe et un peu poète à ses heures. Sa statue se trouve actuellement au musée du Louvre. Ce majordome égyptien sortait tous les soirs pour admirer la belle robe de la nuit et ses étoiles scintillantes. Et il se demandait si un jour, il pourrait avoir la chance d'être à son service, car il en était tombé secrètement amoureux. Mais il savait au fond de lui que son amour était impossible car la nuit ne pouvait pas l'aimer, lui, un simple majordome terrestre. Elle ne pouvait même pas s'intéresser à lui, ni même ne serait-ce que le regarder. Du coup, lorsqu'il la contemplait dans sa simplicité virginale, de son esprit sortaient les plus beaux vers que l'être humain n'ait jamais écrits, des vers véritablement célestes. Il faut dire aussi que jamais personne n'avait ressenti une telle mélancolie.
La nuit de son côté avait remarqué ce petit être insignifiant qui sortait chaque soir à la même heure pour la contempler. Elle se demandait ce qu'il pouvait bien faire toutes les nuits, la tête penchée vers le ciel et les étoiles. Elle pensait en fait qu'il était un peu fou. Mais elle avait aussi remarqué qu'il emportait avec lui une plume d'oie, de l'encre et du papyrus pour écrire. Cependant, d'où elle était, elle ne voyait pas ce que le majordome écrivait. Or, elle était très curieuse et brûlait de savoir ce que contenait les feuilles que griffonnait ce minuscule mortel. Du coup, elle prit la forme humaine d'une très belle femme et chevaucha une étoile filante pour parvenir jusqu'à la terre ferme dans le désert égyptien. Sa robe était bleue et constellée d'étoiles. Son visage était le plus beau qu'on puisse imaginer. Ses yeux brillaient comme s'ils avaient renfermé des pierres de lune. Sa chevelure imitait les mouvements de la mer la nuit, lorsqu'elle reflète la voûte céleste et que scintille l'écume des vagues. Elle était parsemée de boucles comparables à la houle quand l'eau salée s'enroule.
Le majordome n'en croyait pas ses yeux. Il avait vu toute la scène. Une jeune femme étincelante descendre du ciel à l'aide d'une étoile. Et intérieurement, il savait qu'il s'agissait de la nuit. La femme s'approcha de lui d'un air amusé, le contourna lentement puis lui arracha délicatement les papyrus des mains. Il était pétrifié. Il avait attendu ce moment depuis si longtemps et, maintenant qu'il était arrivé, il ne savait pas quoi dire. Il se tût donc. Pendant ce temps, la nuit avait commencé à lire les poèmes et comprit qu'ils avaient été écrits pour elle. Au bout de quelques lignes seulement, une larme roula sur ses joues. Elle n'avait jamais pensé qu'un mortel pût écrire de si belles choses sur elle. L'instant était magique. Elle leva alors les yeux vers le majordome qui n'avait toujours pas bougé. Elle s'approcha de lui sans faire un seul mouvement. C'est comme si l'air la portait. Elle enlaça le majordome et, sans dire un mot, l'embrassa tendrement. Ils s'abandonnèrent.
Lorsqu'elle reprit ses esprits, la nuit fût traversée d'une nuée de pensées terrifiantes. Car elle savait que leur amour était impossible. Jamais une Déesse ne pourrait aimer un mortel et lorsque les Dieux s'en apercevront, ils feront s'abattre sur son majordome adoré les sept plaies d'Egypte. Et elle savait qu'ils n'y survivraient pas. Elle savait également que dorénavant elle ne pourrait plus se passer de sa poésie. Le majordome avait compris lui aussi que l'avenir était sombre et qu'il risquait de ne plus jamais revoir celle qu'il aimait éperdument. Il avait également perçu qu'il ne pourrait pas le supporter. Mais son esprit était vif et une idée lumineuse le traversa, comme une météorite un soir d'été. Il ne savait pas quel pourrait en être le résultat, mais il se disait que ça valait le coup d'essayer. En plus, le temps passé à le réaliser lui permettrait de penser sans cesse à elle. Il expliqua donc son plan à sa douce nuit. Elle sourit tendrement puis reprit sa monture stellaire pour retourner dans le ciel.
A la première lueur du jour, le lendemain, le majordome mit son plan à exécution. Pendant quarante nuits et quarante jours, il se rendit dans un temple de la ville d'Edfou, au bord du Nil, et s'enferma à l'intérieur. Nul ne savait ce qu'il pouvait y faire. Pour la première fois de sa vie, il ne sortait plus la nuit pour scruter le ciel à la recherche de sa bien-aimée. Mais il savait que la privation temporaire était la seule solution pour avoir une infime chance de la revoir. Lorsque la quarantième nuit fût achevée, il était épuisée mais heureux d'avoir enfin terminé son oeuvre. Son coeur se remplit de chaleur à l'idée que, peut-être, la nuit prochaine, il verrait celle qu'il aime. Il revint donc le lendemain, entra dans le temple et contempla le plafond comme s'il s'agissait de la nuit elle-même. En fait, il avait passé tout ce temps à peindre une fresque représentant le corps céleste de sa dulcinée. Sous ses yeux, la peinture se mit à remuer légèrement, puis une forme s'en détacha. A l'abri des regards, même de ceux des Dieux, le dessin prenait donc vie. Il pouvait alors s'aimer aussi longtemps qu'il le voudrait, à la nuit tombée.
La Nuit et le Majordome
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